• Sous-traitance nucléaire, danger : les petites mains du nucléaire arrivent à Paluel (Paris-Normandie - 28/03/2015)

    Sous-traitance. Le grand chantier de la centrale nucléaire de Paluel va

    nécessiter l’intervention de milliers de salariés extérieurs. Des

    professionnels aux conditions de travail parfois précaires.

    Un parking à étages de 1 800 places, des bâtiments avec ateliers,

    bureaux et vestiaires, trois restaurants... La centrale nucléaire de Paluel

    , la première de France à lancer, en avril, ses travaux de grand

    carénage (lire ci-dessous), s’est préparée à accueillir un afflux

    exceptionnel de travailleurs extérieurs. Ces prestataires, près de 700 à

    intervenir en permanence sur le site, approcheront les 2 500 au plus fort de

    l’activité. « Depuis plus de 20 ans, EDF a choisi de confier la

    majorité des opérations de maintenance sur ses centrales à

    des entreprises de sous-traitance », indique le premier producteur et

    fournisseur d’électricité du pays.

    En 2013, elles ont assuré 80 % des opérations en France. Près de

    23 000 sous-traitants ont été mobilisés, dont 21 000 en zone nucléaire.

    C’est deux fois plus que le nombre d’agents EDF affectés à la

    maintenance quotidienne sur les sites. La plupart de ces soudeurs,

    chaudronniers, robinetiers, électriciens, mécaniciens ou logisticiens

    travaillent pour Areva, Alstom, Suez, Vinci, Groupe Onet et Spie.

    Qu’ils interviennent dans la même centrale tout au long de l’année ou

    passent d’un site à l’autre en fonction les chantiers (ces « nomades »,

    français et étrangers), tous doivent suivre trois formations obligatoires :

    « prévention des risques et à la radioprotection », « habilitation

    nucléaire » et « qualité sûreté prestataires ». « Le grand carénage de

    Paluel est une vraie opportunité pour les entreprises de la région, 

    souligne Didier Pézier, président du Groupement des industriels

    prestataires nord-ouestMais l’investissement est lourd, tant moralement

    que financièrement. » Mais pour Alain Corréa, du collectif Stop EPR

    ni à Penly ni ailleurs, les prestataires « ne connaissent pas les installations

    aussi bien que ceux qui y sont en permanence et peuvent passer à côté de

    quelque chose. »

    Pour mesurer la dose de radioactivité reçue, chaque sous-traitant qui

    intervient en zone nucléaire est équipé de deux dosimètres. La limite est

    de 20 millisieverts par an. Les salariés doivent également porter une

    tenue pour se protéger des poussières et des combinaisons étanches et

    ventilées lors d’opérations spécifiques. Ils passent aussi un examen

    médical en arrivant, ainsi qu’un dépistage d’une éventuelle

    contamination interne avant chaque mission. « Il faudrait aussi que les

    médecins qui suivent les prestataires viennent plus souvent, pour Joël

    Dujardin, secrétaire général de la CGT sur le site de Paluel. On

    s’inquiète également pour leurs horaires de travail. Beaucoup sont en 3 x 8

    ou en 2 x 8 pour terminer les chantiers plus vite. »

    S’il attend le début des travaux avec impatience, Didier Pézier n’en reste

    pas moins vigilant. « Il y a un risque que certains grands groupes qui

    ont décroché les marchés demandent aux entreprises plus petites

    de tirer les prix vers le bas, prévient-il. La relation entre le donneur

    d’ordre et l’entreprise qui sous-traite doit rester une relation de

    partenariat. »

    Un risque qui impose une exigence de transparence. Dommage que

    la direction de Paluel ne la partage pas. Elle n’a pas donné suite à nos

    demandes d’interview...

    DOSSIER RÉALISÉ PAR CHARLY LE GAL

    Une logistique exceptionnelle

    Les chantiers. La centrale de Paluel est la première de France à connaître

    `un grand carénage. Cette visite décennale qui intègre de nouvelles normes

    de sûreté décidées après la catastrophe de Fukushima, débutera en avril

    par le réacteur N°2. Une centaine de modifications seront réalisées sur cette

    unité : remplacement des quatre générateurs de vapeur et des pôles du

    transformateur principal, modernisation des équipements de contrôle-

    commande par l’intégration de matériels numériques... «L’objectif est de

    garantir le meilleur niveau de sûreté pour une exploitation durable de

    l’unité de production », indique-t-on à la centrale. EDF espère prolonger de

    dix ans la vie du site, mis en service en 1984 et conçu pour fonctionner 40

    ans. La visite de l’unité 1 démarrera en 2016, en 2017 pour l’unité 3 et 2018

    pour l’unité 4. Le coût des opérations est évalué à 800 M€ par réacteur de

    1 300 MW.

    Les deux réacteurs de la centrale de Penly, mis en service en 1990 et 1992,

    connaîtront le même sort à l’horizon 2020-2025. Certaines opérations,

    comme l’installation d’un diesel ultime de secours visant à renforcer

    l’alimentation électrique (mesure post-Fukushima), seront réalisées avant.

    Hébergements. Les communes situées autour de la centrale de Paluel

    et EDF préparent depuis longtemps l’arrivée de ces milliers de

    travailleurs extérieurs. En novembre 2014, le premier producteur

    d’électricité de France et la communauté de communes Côte d’Albâtre

    ont signé une « déclaration d’actions communes ». EDF s’engage à

    soutenir des programmes d’investissement pour développer l’offre

    d’hébergement sur le territoire, comme à Vittefleur, où un parc de

    résidences de 93 chambres a ouvert. En contrepartie, un accord qui

    court jusqu’à la fin du grand carénage prévoit qu’il soit loué la

    moitié de l’année aux salariés travaillant sur le chantier.

    Des salariés vraiment comme les

    autres ?

    Le recours à la sous-traitance dans le nucléaire a-t-il augmenté

    ces dernières années ? Pourquoi ?

    Philippe Billard « Quand j’ai commencé comme travailleur sous-traitant,

    en 1985, on effectuait 20 % des interventions. Tout le reste, c’était les

    agents EDF qui le faisaient. Vingt ans plus tard, 80 % de la maintenance

    était assurée par les sous-traitants. On doit approcher les 90 % aujourd’hui.

    Le chiffre progresse parce qu’en sous-traitant la maintenance, EDF

    sous-traite les risques pour ne plus être responsable pénalement. Autre

    raison : le gain financier. Un agent EDF coûte jusqu’à trois fois plus cher

    `qu’un sous-traitant pour le même travail. Ça a aussi cassé le tissu social.

    Car c’est très difficile de se syndiquer avec la concurrence qu’il y a entre

    les entreprises. »

    Guillaume Bouyt « Le volume des activités qu’EDF choisit de sous-

    traiter résulte d’une gestion sur laquelle l’ASN (NDLR : l’Autorité

    de sûreté nucléaire) n’a pas vocation à se prononcer. Ce qui est sûr,

    c’est que l’activité des grands carénages est d’une amplitude particulière

    et fera appel à un nombre élevé d’intervenants. Quel que soit leur statut,

    l’ASN contrôle de la même manière le respect des exigences applicables en

    matière de droit du travail. »

    Ces salariés sont-ils suffisamment formés, informés et protégés

    pour intervenir dans une centrale ?

    P. B. « Ce n’est pas avec une habilitation qu’on apprend à travailler

    dans le nucléaire. Elle sert surtout à dédouaner l’employeur qui en cas

    d’accident pourra dire que le salarié savait quels risques il courait. Or,

    à aucun moment les sous-traitants ne sont réellement avertis des

    dangers : rayonnements ionisants, contamination externe, interne...

    Les plus exposés peuvent prendre un quart de la dose limite

    (20 millisieverts/an) en deux minutes. Les deux dosimètres qu’on a sur nous

    ne suffisent pas à mesurer la dose réelle. Il en faudrait à chaque extrémité

    pour que ce soit fiable et faire la moyenne pour garantir qu’on est en

    dessous des 20 millisieverts. »

    G. B. : « Les résultats des contrôles que l’ASN réalise sont globalement

    satisfaisants. Les inspecteurs ont toutefois relevé quelques situations

    nécessitant des actions correctives, par exemple pour assurer la bonne

    mise en œuvre de protections collectives ou individuelles, ou encore obtenir

    la conformité de certaines machines aux exigences applicables.

    Ces situations donnent lieu à des demandes écrites de l’ASN au titre

    des suites de son action de contrôle. »

    Peut-on objectivement faire un lien entre le recours à la sous-traitance

    et les incidents dans les centrales ?

    P. B. « Oui car pour toute intervention, il y a un planning à respecter et

    on ne peut pas réaliser un bon travail si le temps est compté. Alors il arrive

    qu’il soit bâclé à cause de cette pression permanente, ce qui ne garantit

    pas la sûreté des installations. On a vu ce que cela donnait à Tchernobyl,

    Fukushima, mais aussi près de chez nous. Sur son site internet, l’ASN

    répertorie tous les accidents en France qu’EDF minimise en parlant

    d’incidents. »

    G. B. : « Les causes d’un événement sont généralement multiples

    et comportent le plus souvent, au-delà des aspects techniques

    et matériels, une dimension organisationnelle complexe. Il serait ainsi

    réducteur de limiter les causes d’un événement donné à l’action d’un

    intervenant unique, ou au recours à la sous-traitance en tant que tel.

    EDF reste responsable pour la sûreté de son installation. »

    Dans quelles conditions travaillent les salariés étrangers présents

    sur les grands chantiers nucléaires ?

    P. B. : « Leurs compétences sont équivalentes aux salariés français.

    Mais ils sont moins payés. C’est une main-d’œuvre qualifiée et pas chère

    pour les entreprises. C’est pour ça qu’elles font appel à eux. Pour les

    organisations syndicales, c’est très difficile de les approcher parce que

    beaucoup ont la consigne de ne pas nous parler. »

    G. B. : « Détacher des salariés étrangers en France nécessite de respecter

    les règles issues notamment de directives européennes en matière de

    couverture d’assurance maladie, de conditions de travail et de garanties

    au niveau social. Sur certains chantiers contrôlés par l’ASN, les inspecteurs

    ont observé et signalé aux entreprises concernées des situations qui

    peuvent s’apparenter à du travail illégal. Les inspecteurs peuvent être

    amenés à dresser un procès-verbal qui est transmis au procureur.

    C’est lui qui ouvre, ou pas, une enquête.»

    * Cofely Endel est une filiale du groupe GDF Suez.

    ** L’Autorité de sûreté nucléaire, indépendante, assure les contrôles

    de sûreté nucléaire et de radioprotection pour les activités du nucléaire

    civil.

    http://www.paris-normandie.fr/detail_article/articles/2844444/actualites+economie/les-petites-mains-du-nucleaire#.VSRBxDusUwo


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